Les trains de la mort

Le camp de Royallieu, près de Compiègne, était la plaque tournante où étaient rassemblés les détenus, en principe non raciaux, avant leur transfert en Allemagne. Un camp identique rassemblait les juifs à Drancy avant leur transfert vers les camps d’extermination.

Lorsque les détenus sortaient des prisons où ils avaient été maltraités pour être déplacés vers Compiègne, ils ont pu alors éprouver un curieux sentiment de « liberté », estimant avoir échappé à la mort, et dans l’ignorance qu’ils franchissaient l’étape ultime vers l’univers concentrationnaire.

Embarqués pour une destination inconnue à partir de la gare de Compiègne, enfermés dans des wagons d’un train de marchandises, hermétiquement fermés, ils étaient 100 par wagon, parfois plus..

Ce voyage a duré 3 jours et 2 nuits.

Un épouvantable voyage. Le train va s’arrêter à Buchenwald, à Dachau, à Mauthausen….

Les camps

« Nous qui avons survécu avons un devoir envers nos camarades qui sont morts dans les camps de concentration. Quand nous étions là-bas, nous nous disions : il faut que les gens sachent. »

L’histoire de la déportation compte des faits qui se passent de commentaires. Cette histoire s’écrit et s’évoque sans haine.

Les camps de concentration ont constitué un monde dément qui avait ses règles avec sa double hiérarchie – SS et certains détenus privilégiés- qui régnaient par la terreur.

« Arrivés dans le camp de concentration, nous avons été désinfectés puis habillés avec des pantalons à rayures. On nous a donné un matricule et un triangle rouge pour les prisonniers politiques. Je portais le numéro 43 296. La journée commençait à 4h30 avec comptage y compris des morts. On travaillait de 10 à 12 h par jour. Les conditions étaient très dures en raison notamment des kapos. J’ai assisté à deux meurtres. Le soir on nous faisait défiler devant les pendus. »

« Le petit-déjeuner était l’unique repas de la journée avec au menu un ersatz de café, du pain, une barre de margarine et parfois une tranche de saucisson. Le soir on avait droit à une soupe claire. »

Témoignages de résistants-déportés

L’arrestation

« Nous avons été dénoncés. Je sais par qui. J’ai appris plus tard que cet homme avait déjà sévi dans les Basses-Pyrénées où il avait dénoncé soixante-quinze
personnes, il était payé 3 000 francs par tête ».
Simone Fontanel-Feuvre, matricule 57 749 Ravensbrück

La prison de la Pierre Levée, à Poitiers. C’est l’antichambre de la déportation pour les résistants actifs en Vendée.

« Il n’est pas rare de voir des personnes avec des bras brisés, où le crâne fracassé ; d’autres ont eu les membres brûlés par des fers rouges. Et des fractures de mâchoires (…) J’ai vu aussi des aveugles par matraquages sur le front, des paralysés des membres inférieurs par matraquage de la colonne vertébrale, des paralysés des bras par pendaison par les poignets liés par derrière. Puis des testicules écrasés dans des étaux, des ongles arrachés, bref toutes les formes tangibles de la magnifique civilisation nazie ».
Guy Trajan, matricule 77 475 Dachau, 22 825 Natzwiller-Struthof

Gusen, un camp Kommando dépendant de Mauthausen

« Il y avait en permanence 15 000 prisonniers à Gusen, les blocks étaient surchargés, équipés de lits superposés à trois étages, chaque étage étant occupé par trois prisonniers, tête bêche sur le côté. Malgré cela, nous dormions, l’épuisement servant de somnifère. Quant à la nourriture, elle était plutôt réduite, une eau noire le matin, une soupe très claire à midi, un morceau de pain le soir (…). La mort était continuellement présente à notre vue puisque nos camarades morts dans la journée étaient à nos côtés lors de l’appel ».
Pierre Mauger, matricule 49 930 Mauthausen

Le retour

« Avant mon arrestation, j’avais passé un concours pour entrer à l’école technique des PTT. Mal préparé et l’esprit ailleurs, j’avais échoué. Assez rapidement après mon retour, j’avais repris la préparation de ce concours. Ce n’était pas chose facile car mes études étaient interrompues depuis deux ans et demi, et beaucoup de mes connaissances scolaires étaient restées accrochées aux fils de fer barbelés. Je devais pratiquement tout reprendre à zéro (…). J’aurais sans doute abandonné sans l’opiniâtreté de ma mère (…). Mais à peine titularisé, mon état de santé se détériorant, j’étais obligé de m’arrêter ».
Jean Gény, matricule 38 748 Buchenwald

Les familles pendant la déportation d’un être cher

Lorsqu’un être cher était arrêté puis déporté, sa famille et ses compagnons se trouvaient brutalement coupés de nouvelles. Il était au secret et ne pouvait qu’épisodiquement ou par l’intermédiaire de tiers envoyer ou recevoir des nouvelles.

Certaines familles ont laissé des témoignages de ce qu’elles ont vécu de leur côté, pour tenter de rentrer en contact avec elle ou lui. Envoyer des nouvelles mais aussi un peu de réconfort matériel à une époque où l’on manquait de tout.

Les familles de déportés politiques pouvaient passer par la Croix-Rouge, par des religieux, ou par des associations de familles de détenus, qui échangeaient des nouvelles vraies ou supposées. Les échanges épistolaires entre les différents organismes et ces familles en témoignent. Il est rare que ces organismes ne se soient pas fait rémunérer pour cela, ainsi qu’en témoignent les différents récépissés conservés, même si le service attendu n’était pas toujours rendu….

S’exprimer pour survivre

L’art en camp de concentration est une forme de résistance.

Les nazis ne s’y trompent pas car il y est interdit de dessiner, ce qui est une activité intellectuelle qui permet aux détenus d’avoir une liberté d’expression et de s’évader par la pensée. C’est interdit aussi parce ces dessins montrent l’horreur des camps1.

Boris Taslitzky est un peintre français d’origine russe, né en 1911 et mort en 2005 à Paris.
Déportée à Auschwitz, sa mère meurt en 1942. Engagé en août 1940 dans la résistance, il est capturé en 41, condamné à deux ans de prison, puis déporté à Buchenwald en 1944. Boris Taslitzky réalise à Buchenwald environ deux cents dessins qui témoignent de la vie du camp.

« Si je vais en enfer, j’y ferai des croquis. D’ailleurs, j’ai l’expérience, j’y suis déjà allé et j’y ai dessiné !… »

Maurice de la Pintière est né en 1920 et mort en 2006.
En 43 il intègre un groupe de résistance de l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris, dont il est élève. Il est arrêté, la même année, par la Gestapo et déporté à Buchenwald, au camp de Dora, puis à Bergen-Belsen. Il réalise après sa libération une série de lavis dessinés de mémoire à partir de croquis effectués dans le camp de Dora.

« Dora, la mangeuse d’hommes »

Jean Laidet (1923-2019), de même que Gaston Marceteau (1923-2015) ont été déportés à Buchenwald, block 62.
La peinture est pour eux une passion à laquelle ils s’adonnent à la libération. Ce n’est qu’à la fin de leur vie que cette forme d’expression sera tournée vers l’exorcisation de ce qu’ils ont vécu au camp.

1Les premières photos des camps seront faites par les Américains au moment de leur libération en 1945

Fabriquer quelque chose quand on n’a rien

Parmi les documents et les biens personnels rapportés de déportation se détache un groupe particulier d’objets, fabriqués en secret dans les prisons et les camps : cartes en tissus brodées, mouchoirs, faux cols, serviettes, chapelets en mie de pain, images peintes, boîtes en bois ou en métal, croix, boîtes à cigarettes, ornements en os d’animaux. Ces objets étaient souvent destinés à un être cher, ami ou proche parent, même s’il était difficile de les leur faire parvenir.

Ces objets ont une fonction qui n’est pas uniquement utilitaire. Ils sont fabriqués clandestinement et leur fabrication constitue une sorte de résistance au quotidien. Elle fait appel à des techniques d’un autre temps et qui fait partie de la mémoire positive des déportés. Celle des temps heureux, car libres.

Elle forme une échappatoire à la relation de pouvoir et de terreur des camps.

D’ailleurs, la fabrication de ces objets n’est pas une affaire personnelle. Le partage des matériaux et des « outils », de même que la préservation du secret font partie de la solidarité entre détenus.

Dans le même block, tous savent, tous se taisent.

Enfin, grands nombres d’objets sont dédicacés et portent des inscriptions telles que date et lieu de captivité.

Une manière d’essayer de surmonter l’absence des siens, mais aussi la perte d’identité.

Correspondre en secret

A plusieurs reprises, les familles, soit directement soit par intermédiaire vont rivaliser d’inventivité pour faire passer des messages pleins d’espoir et de soutien à leurs proches.
Ainsi la technique de l’inscription roulottée à l’intérieur d’une ficelle a-t-elle été utilisée de même que les sous-entendus.

Il n’y a jamais eu de Tante Marianne dans la famille de Gaston Marceteau…
Ce petit mot renseigne sur l’état « meilleur » de la France ce qui permet de le dater approximativement de l’été 44.

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