« Je ne peux pas raconter. Si je disais comment c’était on ne me croirait pas. Combien de fois me suis-je senti coupable d’être revenu, d’être encore en vie. Pourquoi ? »
Le retour des prisonniers et déportés est annoncé aux familles, qui n’ont parfois plus reçu des nouvelles de leur fils, fille, conjoint(e), depuis des mois, par des messages lapidaires, courts, dont le contenu émotionnel était inversement proportionnel à celui de la sémantique.
Pour ceux qui reviennent des camps, c’est l’apprentissage du retour à la liberté, et aussi le début d’une nouvelle épreuve.
Il faut raconter l’indicible, vivre ou réapprendre à vivre avec ce que l’on a vécu et que les autres ne comprennent pas. Faire face à l’incompréhension, mais aussi à la gêne des autres.
Avoir en soi le sentiment de culpabilité parce qu’on est rescapé et que tant d’autres ont péri.
Année 1945 : Le retour des prisonniers et des déportés
Entre l’été 1944 et mai 1945, les troupes soviétiques et les armées alliées font reculer les lignes de front et libèrent peu à peu les camps de concentration nazis. Dès la libération des camps, les déportés qui sont en état de supporter le transport rentrent dans leur pays. Le rapatriement se fait en fonction des disponibilités, le plus souvent en train, plus rarement en avion. Certains regagnent la France par leurs propres moyens. Les déportés qui reviennent sont mêlés aux prisonniers de guerre et aux requis du STO.
L’accueil en France est plutôt chaleureux pour les premiers rentrés, mais il devient plus normalisé par la suite. La plupart des déportés transitent par l’hôtel Lutetia à Paris, avant de rejoindre leur localité d’origine. Ils découvrent une population à la fois bienveillante et incapable de saisir la spécificité des horreurs qu’ils ont vécues. Ils doivent aussi faire face à la détresse des familles des déportés disparus en attente d’informations qu’ils ne peuvent quasiment jamais fournir. Les derniers rapatriements ont lieu en juin-juillet 1945. L’hôtel Lutetia demeure réquisitionné jusqu’en septembre 1945.
Déportés pris en charge à leur retour
Devant l’hôtel Lutetia, en avril 1945
Récit autobiographique de Louis Buton, un résistant vendéen d’Aizenay, déporté, de retour du camp de Mauthausen
… En route vers Paris ! 16 heures, arrivée gare du Nord. […] Nous nous dirigeâmes vers la sortie. Une foule nombreuse et émue était massée aux abords de la gare, beaucoup de mamans, d’épouses, de soeurs, de fiancées nous tendaient des photos en demandant des nouvelles des leurs. Hélas ! Combien attendent encore, attendront toujours le retour de leurs chers déportés !
Des autobus étaient là, nous y montâmes et, par les rues de la Capitale, toujours en chantant, nous atteignîmes l’hôtel Lutetia, centre d’accueil. […]
Notre groupe de Vendéens s’était effrité peu à peu. […] Nous ne nous trouvions donc plus que trois : David, Bossi et moi. […] Nous pûmes enfin, par le métro, rejoindre, le 20 mai à 8 heures du matin, la gare Montparnasse. […]
… Nantes, il était 17 heures. Quelle foule, que de monde pour accueillir tous ces rapatriés, prisonniers, déportés et requis ! Je cheminais lentement vers le baraquement du centre d’accueil lorsque je me sentis frappé sur l’épaule. Je me retournai et vis un civil qui, d’un ton hésitant, me demanda : « Pardon, je ne me trompe pas, c’est bien à Louis Buton que je m’adresse ? – Oui, mon cher Maurice, lui répondis-je, lui-même. » Et dans un même élan, nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre. C’était Maurice Achalé. […] Immédiatement, je m’inquiétai des membres de ma famille. […] Maurice Achalé me dit : « Je vais chercher une voiture et j’irai te conduire à Aizenay. » Il ne pouvait me faire plus grand plaisir. […] Une heure à peine après notre départ de Nantes, je mettais pied à terre à Aizenay. […] Mes enfants hésitèrent quelques instants avant de me reconnaître, je faisais pitié, disait-on. J’étais en effet très amaigri puisque, lors de mon arrestation, je pesais 76 kilos et ce soir de Pentecôte, 20 mai 1945, j’accusais 48 kilos.
Un Vendéen résistant et déporté, Louis Buton, – Geste éditions/témoignages, 2003